ALGER – L’élection du candidat indépendant Kais Saied à la tête de la Tunisie à l’issue des deux tours de l’élection présidentielle avec 72,71% des voix constitue, selon le politologue tunisien Riadh Sidaoui, une « deuxième révolution à travers les urnes », après celle de 2011 et une « victoire inédite » traduisant une « revanche » de la part de la classe moyenne et défavorise.
S’exprimant dans un entretien accordé à l’APS, au lendemain de la proclamation des résultats préliminaires du second tour, Riadh Sidaoui a estimé que la victoire de M. Saied représente une « deuxième révolution à travers les urnes », soulignant que des pays partenaires de la Tunisie ne s’attendaient pas à une tel résultat.
A ce propos, le directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques a expliqué que le candidat indépendant, universitaire spécialisé en droit constitutionnel, ne disposait pas de moyens financiers et médiatiques pour remporter ce scrutin, contrairement à ses rivaux.
« Cette victoire inédite confortée par un taux de 72,71% des voix exprimées constitue un sursaut tunisien », a-t-il fait observer, mettent en exergue la situation difficile de la jeunesse tunisienne et les aspirations au changement.
Pour étayer son analyse, l’interlocuteur a évoqué, en outre, les choix économiques du gouvernement engagés après la révolution de 2011.
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« Les orientations vers l’économie de marché ne répondaient pas aux attentes de la classe moyenne », a-t-il argué, soutenant que cette politique a pesé sur les résultats du scrutin pour lequel 19 candidatures avaient été retenues lors du premier tour.
Le vote en faveur de M. Saied, par environ 90% des jeunes tunisiens et la majorité des diplômés universitaires, représente, aux yeux du politologue, une « revanche » infligée à la classe politique tunisienne.
L’efficacité des réseaux sociaux a également été un élément « déterminant » dans la victoire du candidat indépendant, a-t-il également fait savoir, relevant qu' »aucun média tunisien n’avait soutenu Kais Saied durant sa campagne ».
Dans sa course au palais de Carthage, le président élu avait privilégié, a-t-il ajouté, « le contact direct avec les populations à travers des activités dans les villages, les quartiers populaires et des cafés ».
Une élection et des attentes
Le mandat substantiel et direct accordé à Kaïs Saïed, lors du scrutin du 13 octobre, ne lui permet pas pour autant de répondre aux attentes exprimées par les différentes franges de la société tunisienne, a tenu à préciser, toutefois, le spécialiste du monde arabe.
Et pour cause, il a cité les dispositions de la Constitution de 2014 qui avaient limité les prérogatives présidentielles à celle de la Défense nationale et aux Affaires étrangères.
Rappelant la nature du système parlementaire adopté par la Tunisie, M. Sidaoui a indiqué dans ce sillage que le président de la République n’a pas de compte à rendre devant les députés et a être tenu pour responsable de la politique sociale et économique du pays.
Celles-ci font partie, a-t-il rappelé, des missions du chef du gouvernement. « Le président n’a pas besoin de soutien de la part du parlement, sauf dans le cas suivant : lorsqu’il décide de proposer une loi afin d’être adoptée », a-t-il encore clarifié.
S’agissant du futur gouvernement, dont les tractations ont déjà commencé, à l’issue des récentes élections législatives, le politologue tunisien n’a pas écarté des difficultés pouvant rendre la « tâche difficile », voir même « impossible », du fait, d’après lui, de la position minoritaire d’Ennahdha au sein de l’actuelle Assemblée parlementaire avec seulement 52 députés, le mouvement qui l’avait soutenu lors du scrutin du deuxième tour, alors que la formation d’une équipe gouvernementale lui requiert au minimum 107 élus.
Dans ce cas de figure, M. Sidaoui prévoit la mise en place de nouvelles alliances à travers cinq ou six partis politiques réunis.
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En outre, dans cette perspective, le politologue a soutenu que le parti d’Ennahdha va perdre beaucoup au sein de sa base militante et auprès de l’opinion publique, en raison de l’intransigeance de certaines formations vis-à-vis de la répartition de portefeuilles ministérielles et des réformes économiques à mener.
« Si le parti de Rachid Ghannouchi ne réussit pas à désigner le futur gouvernement, ce qui est fort probable, le président sera amené à solliciter le parti Qalb Tounes (Au coeur de la Tunisie) ou une personnalité pour le constituer », a-t-il encore analysé, évoquant aussi une troisième éventualité, à savoir celle de la convocation des élections législatives anticipées.
Faisant état d’une situation « préoccupante » en Tunisie, le spécialiste a reconnu, toutefois, que « le président Saied ne peut pas faire un miracle » en la matière.
Face aux limites imposées par la Constitution, le chef de l’Etat dispose uniquement du droit de proposer des textes de lois pour lesquelles il doit solliciter le soutien des parlementaires pour leur approbation, a-t-il expliqué.
A la question portant sur le choix par le président élu de l’Algérie comme son premier pays étranger à visiter, M. Sidaoui a évoqué « un choix stratégique qui répond aux intérêts des deux pays ».
« L’Algérie occupe une place très importante pour la Tunisie (…) Durant sa campagne électorale, le président élu a toujours valorisé la dimension arabe dans sa politique étrangère. Il avait plaidé pour des relations fortes entre la Tunisie et les pays du Maghreb », a-t-il souligné, ajoutant, dans le même contexte, que M. Saied est aussi « un fervent défenseur de la cause palestinienne ».
Tunisie : L’instance électorale confirme la victoire du candidat Kais Saied