Tizi-Ouzou: « J’ai vu ma mère brûlée vivante par les soldats français »

TIZI-OUZOU- Le meurtre, le 29 septembre 1958, de onze personnes, 08 femmes et 03 hommes, brûlées vives par les soldats de l’armée françaises au village Belghezli à Ait Zellal à l’Est de Tizi-Ouzou, dont les séquelles sont encore vivace dans la mémoire des habitants, illustre l’atrocité des crimes de guerre commis en Algérie 132 ans durant.

En représailles à leur abstention la veille, à l’appel du Front de libération nationale (FLN), lors du référendum sur la constitution de la Vème république consacrant l’Algérie-française, ces femmes et ces hommes, dont certains étaient déjà emprisonnées depuis des mois et d’autres arrêtées le jour même, ont fait les frais des démêlés politiques du général De Gaulle arrivé au pouvoir en mai de la même année.

Rencontrés par l’APS qui est retournée sur les lieux de cette tragédie, des témoins et descendants des victimes peinent encore, 62 ans après, à oublier ce macabre crime qui a déchiqueté leurs vies et traumatisé leurs mémoires, à l’exemple de Boussenane Ahcène, qui y avait assisté de près et vu périr sa propre mère.

Il n’avait que 06 ans à l’époque et ne comprenait pas ce qui se passait mais les images de ce drame, qui a bouleversé sa vie, sont restées gravées dans sa mémoire. « J’ai vu ma mère brûlée vivante par les soldats français.Je les ai vu les asperger d’essence et les brûler tous » se rappelle-t-il, la voix étranglée et les larmes aux yeux.

Sa mère, Eldjouher Saadi, emprisonnée par l’armée française, lui « manquait » et le bruit ayant couru sur la présence au village de prisonniers ramenés par les soldats, sa grand-mère l’avait chargé de voir si elle était parmi eux avec « l’espoir de la voir », les adultes ayant peur d’être arrêtés.

« C’était en fin de journée, les soldats les avaient emmenés dans cette bicoque à l’écart du village, tous attachés avec du fil de fer, les a aspergés avec des jerricans d’essence et l’un d’eux y a mis le feu pendant que les suppliciés criaient : Vive l’Algérie. Moi, je ne comprenais pas ce qui se passait et je voulais aller vers ma mère mais un soldat m’écartait avec son arme » poursuit-il.

Brulés vifs, leurs ossements calcinés dégageaient une odeur de brulé dans plusieurs lieux à la ronde, ont été enterrés à l’endroit même par les habitants du village encore sous le choc, après le départ de la soldatesque.Visiblement peiné à l’évocation de ce drame dans lequel son père a laissé sa vie, Belkacem Mohand, lui aussi, « n’arrive pas à oublier ».

Alors âgé de 17 ans, et déjà emprisonné par l’armée française, il avait fuit à Boufarik (Blida) où il travaillait dans les fermes pour échapper de nouveau à la prison et n’avait appris la nouvelle que plus tard et en est resté marqué à jamais.

« Ce fut un choc. Et cela ne m’a jamais plus quitté » affirme-t-il. « J’avais appris la nouvelle par un gars du village qui travaillait avec moi mais qui n’avait pas osé me dire pour mon père, et ce n’est que plus tard que je l’avais su. Aujourd’hui encore, je vis avec », témoigne-t-il, sans pouvoir en dire d’avantage.

 

Crimes contre l’Humanité

 

Le jour du drame, le village avait été soumis à d’intenses tirs de mortier depuis la caserne de Souamaa et beaucoup de villageois, surtout ceux habitant le flanc Est exposé aux tirs, avaient fui leurs maisons et trouvé refuge dans les villages avoisinants, à Ait Khellili, L’djemaa N S’aridj et jusqu’aux Ait Oumalou.

Depuis l’appel du FLN à l’abstention lors de ce référendum, le village abritant un refuge de moudjahidines, a été soumis à une forte pression par l’armée française à leur recherche. « Provocations, humiliations, emprisonnements sans motif, bombardements et des expulsions d’habitants ont été notre lot », témoigne Ahmed Tahar, habitant du village.

A l’époque du drame, « le village était vide d’hommes valides, tous au maquis ou tués et les femmes avaient pris le relais de l’organisation du ravitaillement et du soutien au moudjahidines, ce qui explique l’acharnement des français à leur encontre et leur propension élevée lors de ce massacre », précise-t-il.

« Ces crimes contre des populations désarmées devraient être versés au dossier des crimes contre l’Humanité et consignés par l’Histoire au tableau des atrocités du colonialisme français, car ils transgressent toutes les lois humaines et même les codes de la guerre », a-t-il observé déplorant, en outre, que « l’une des victimes, Fertal Ferroudja, ne soit toujours pas reconnue officiellement comme martyr ».

D’autres exactions « tout aussi inhumaines » ont été, par ailleurs, commises le même jour par les soldats français déchaînés contre les populations de la région qui a boudé ce référendum a, également, indiqué à l’APS, l’ancien moudjahid Ouali Ait Ahmed, à l’époque secrétaire du Poste de commandement (PC) du secteur, installé à Iguer Guedhmimen dans la commune de Souama.

Trois femmes, dont une adolescente de 15 ans, et 02 enfants en bas âge ont été tués à bout pourtant au village Tadhlest, dans la commune d’Ait khelili et 03 soeurs du village, Tizi G Oufrass, dans l’actuelle commune d’Imssouhel, ont été obligées de creuser leurs propres tombes dans lesquelles elles ont été ensevelies vivantes.

Ces drames, qui s’ajoutent à la longue liste des crimes de guerre du colonialisme français en Algérie, et qui inauguraient la cécité de la Vème république française, font dire à l’ancien Commandant de l’Armée de libération nationale (ALN) que « la Vème république est née des arômes des corps brûlés » d’Ait Zellal.

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