TEMOIGNAGES DE FEU MOUDJAHID, SAÏD NAIT SI ALI : La maison Berber, le ‘’Merkez’’ de Mostaganem

TEMOIGNAGES DE FEU MOUDJAHID, SAÏD NAIT SI ALI : La maison Berber, le ‘’Merkez’’ de Mostaganem
La maison Berber, construite sur une colline surplombant la plage de Kharouba Mostaganem, est une vraie forteresse dans la mesure où elle a été bâtie presque en béton armé et à partir de laquelle on peut superviser, de n’importe quel côté, tout mouvement allant ou venant vers la plage.
Son accès est très difficile du fait, qu’un seul escalier à partir de la route principale, même alors que ses flancs de parts et d’autres sont très abrupts donc inaccessibles. Le rez- de chaussée est constitué de trois pièces et une cuisine à partir de laquelle on accède au premier étage dans un genre de vestibule avec un balcon au centre, d’où on pouvait observer la plage à l’infini la seule route qui y mène. Au fond du vestibule une fenêtre, par où on domine à l’est le Marabout Sidi El Madjdoub. Ce panorama prévoyait une sécurité de la maison sans trop de difficultés, en ce sens, que la domination de toute situation belliqueuse était acquise.
A droite du vestibule, deux chambres faisant face au bout desquelles une porte d’accès donne carrément à l’extérieur sur un champ inculte, inhabité, sur plusieurs centaines de mètres. Toutes ces caractéristiques et bien d’autres, vouent cette bâtisse à devenir, tout au long de la révolution armée,  un refuge et plus tard, un P.C de la région V historique à partir duquel, plusieurs faits d’armes furent élaborés, programmés, planifiés et mis à exécution avec clairvoyance sans attirer l’attention des services criminels français de la répression.
Sissi Benaissa Berber, propriétaire de la maison était un homme exceptionnel, c’était un stratège, un conseillé politique et militaire, un homme très discret, loyal, ayant de belles manières pour être au service de son pays en toutes circonstances ne demandant et n’attendant aucune compensation aussi morale soit –elle, jouissant de l’estime de tous, vu la grandeur de son âme. La noblesse de son cœur, l’ouverture de son esprit à tout dialogue pouvant apporter un plus à la cause nationale, ont consacré ce révolutionnaire à porter très haut, de par sa compétence, son éducation et son savoir-faire, chaque fait d’arme, à sa concrétisation. Adhérent dès son âge à l’Etoile Nord-Africaine puis au P.P.A, ensuite au M.T.L.D puis au F.L.N, c’est dire que toutes ces écoles du nationalisme ont forgé, Sissi Benaissa, en lui inculquant des valeurs et des sentiments purs. Emprisonné à maintes reprises par le colonialisme, avant la révolution, pour ses idées et ses services nationalistes, le revoilà réapparaître encore plus tenace, plus endurci au déclenchement de la révolution, dont il fut l’un des précurseurs lors de la réunion, en octobre 1952 en compagnie de Sid’Ahmed Bouda, Boudiaf, Khider, Ait Ahmed, dans la maison ‘’Benagaouche’’ au quartier de Tidjdit, rue Lalla Khadouma à Mostaganem. Il a toujours accordé refuge aux militants persécutés par le colonialisme, tels les frères Ouadah Benaouda et Ahmed Zabana, interdits de séjour dans leurs villes respectives. Avant d’acquérir la maison à la plage de Kharouba, il a vadrouillé un peu partout dans le quartier populeux  de Tidjdit avec ses six enfants, quatre filles et deux garçons. Cette maison, jouxtant le cimetière de Tidjdit était le gîte de deux familles, Berber et Nait, d’autant plus que des affinités politiques nationalistes avaient réuni Sissi Benaissa et Nait Ali. Une solidarité sincère, pure et sans faille, unissait toutes les familles de Tidjditt. Berber et Nait gardant leur fraternité indélébile décidèrent de se séparer, vu l’exiguïté de la maison et le nombre croissant d’enfants. Durant la grève des huit jours (janvier 1957), l’Armée Française envahit Tidjdit avec des bulldozers, des camions et entreprit de défoncer les rideaux des magasins fermés pour inciter leurs propriétaires à reprendre leurs commerces : ensuite, ils jetèrent toutes les marchandises à même les rues. Pendant que les sanguinaires poursuivaient leur sale besogne, les enfants spontanément, ramassaient chaque marchandise et la remettaient devant la vitrine éventrée. Aucun enfant ne s’est hasardé à prendre un seul bonbon, un seul fruit et Dieu sait si la tentation était très forte pour en goûter ; c’était miraculeusement inouï de la part de ces anges qui viennent, par ces gestes combien honorables et dignes, donner une leçon de civisme, de morale enfin de patriotisme. Cette grève était un revers cinglant pour le colonialisme, tant elle a été un succès indéniable aussi bien politique que militaire. Faisant fi de cette implacable démonstration de notre peuple, l’administration coloniale entreprit d’installer des hauts parleurs sur toutes les places et artères de Tidjdit diffusant quotidiennement son venin propagandiste à longueur de journée paraphrasé par des appels de collaborateurs parlant arabe et entrecoupés de chants militaires à la gloire de la France colonisatrice. C’est dans cette atmosphère houleuse que je grandis entouré de parents nobles, intègres et honnêtes. Politiquement rassasié, j’adhérais aux scouts Musulmans Algériens où rapidement j’acquiers  les rudiments paramilitaires enseignés dans ce mouvement nationaliste. Ce mouvement qui a enfanté tant de scouts martyrs, tels que les trois frères Bencheikh, Allel. Kadi, Bensabeur, sauvagement assassinés pour leur opinion anticoloniale, ainsi que mes frères de la troupe scout,  Omar Elhak Benzaza Habib, Bouazza Abdelkader et bien d’autres pour ne citer que les premiers. Mon oncle Ahmed, fut arrêté et transféré au camp de concentration de Sidi Ali. Ce camp était en fait, un vrai abattoir, car personne ne s’en est sorti vivant, tels que Cheikh Abassa Mohamed, Berrais Abderahmane, Chomri Benaouda et bien d’autres assassinés sauvagement et jetés dans une fosse commune introuvable à nos jours. Ces évènements augmentèrent en moi, les souffrances d’une tragédie amplifiée par les émotions. Un soir, on n’entendait frapper à la porte d’entrée et c’était la première fois que je tombais nez à nez avec des Moudjahiddines, je fus présenté par Sissi Benaissa Bouziane et sa mère Cherifa, appelée communément, H’biba. Plus tard, je saurais que j’étais en compagnie de Si Mohamed Biez, Amar Mohamed, dit Chaâmbi, chef de la région III wilaya V, son adjoint Si El Ghali, de son vrai nom Mokhtari Ghali. Me voila enrôlé au sein de l’ALN-FLN, une convoitise que j’ai longtemps espérée, souhaitée et enfin concrétisée. L’année 1958 était cruciale, propice et décisive. Si Ghali comme Si Mohamed Biez ne voulaient pas trop de risques, il ordonna que chaque attentat soit exécuté par au moins deux Fidaiyines ; l’un s’occupait de l’exécution, l’autre de la couverture.  Sachant que j’étais diplômé également en dactylographie, Si Ghali me procura une machine à écrire, et j’entrepris de taper des tracts durant des nuits chez moi .Nous venions de créer une administration parallèle à celle du colonialisme. C’est ainsi qu’il m’arrivait de trimbaler constamment ma machine à écrire à n’importe quel moment de chez moi à notre merkez et vice versa. Si Ghali nous donne l’ordre d’attaquer un poste d’autant qu’il jouxtait aussi la Zaouia Alaouia qui était dirigée par le vénéré Cheikh Mehdi Bentounes qui protégeait nos Fidaiyines en leur assurant refuge et aides. A cette action, menée à coup de mitraillettes, s’étaient joints, Bouziane Berber, Ali et Mostéfa. Il y’a eu deux blessés parmi les militaires .Des rassemblements seront organisés avec les pieds noirs en plein centre-ville tous les jours à partir de 18h00. En compagnie de Ali, Mostéfa, Taki, pour mener une mission d’attaque contre ces pieds noirs , nous marchons de Kharouba plage (Merkez) jusqu’à Diar El Hana en passant par la touche qui mène à l’école des filles (Kara) jusqu’à Souika, on bifurque par la zaouia Sidi Kaddour pour arriver à Souika Tahtania, Hamam El Ghar, le petit pont, on tourne pour passer devant l’école des Tapis (Ourida Madad) passant par Derb pour aller vers la route longeant l’hôpital (CHE GUEVARA) les trois ponts, puis la route du marché couvert pour sortir sur l’avenue du 1er novembre et l’emplacement désigné qui était près de la pâtisserie « le sauvage » entre les arcades où tous les pieds noirs chaque après-midi tenaient une sorte de sit-in . Avec Nasredine nous plaçâmes sur la moto de Miloud le couffin renfermant la bombe recouverte d’herbe et descendirent la moto sur la route. Il était dix-sept heures environ. Sur la route avec Miloud Nasredine, nous essayâmes de faire démarrer la moto. La moto ne démarre pas, Miloud nettoya la bougie et la replaça. Rien n’y fait, alors on demanda au jeune Bachir fils de Sissi Benaissa, d’utiliser son vélo, et nous replaçâmes la bombe dans un couffin enrobé d’herbe sur le petit porte bagage du vélo. Malheureusement, à l’endroit où il devait garer le vélo, c’est-à-dire près de la pâtisserie « le sauvage », un fourgon de police était garé. Il fit deux fois le tour de la place du 1er novembre pour voir enfin le fourgon démarrer, il courut pour déposer le ‘’vélo bombe’’ et s’enfuit rapidement sans être vu. Il n’avait pas fait 20 au 30 mètres, c’est-à-dire, à hauteur d’un ancien bar sous les arcades, que la bombe éclata. Nous nous sommes retrouvés au Merkez, pour recevoir les félicitations d’autant que si Mohamed Rachid responsable de la wilaya5 est venu lui-même pour nous féliciter. L’effet, de la bombe, estompé, le colonialisme repris ses rafles sporadiques sur Tidjditt (El Kahéra). Je tressaille encore aujourd’hui en me rappelant le calvaire de notre peuple vivant dans l’espoir de sortir des ténèbres. J’entrevoyais aussi la victoire sur la folie guerrière et l’aliénation épouvantable et désastreuse de ces envahisseurs maudits, car nous étions certains du succès. En conclusion, j’émets le vœu que notre jeunesse présente et future, soit digne de ce pays arrosé du sang de nos martyrs et dont chaque parcelle de son territoire renferme un de nos chouhada sacrifiés pour que vive notre peuple dans la dignité et la liberté recouvrées.

 

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