Prison de Serkadji à Alger : un monument historique témoin des crimes de la France coloniale - Algérie

Prison de Serkadji à Alger : un monument historique témoin des crimes de la France coloniale

Prison de Serkadji à Alger : un monument historique témoin des crimes de la France coloniale

ALGER- Située sur les hauteurs de la vieille ville d’Alger (Casbah), la prison de Serkadji (Ex, Barberousse) demeure témoin des crimes de la France coloniale qui a tenté de contrecarrer le combat du peuple algérien et enterrer la guerre de libération nationale.

C’est au sein même de cette prison, que les pouvoirs publics ont décidé de transformer en musée national de la Mémoire, que fut guillotiné, pour la première fois par les forces coloniales, le martyr Ahmed Zabana, et c’est également là, dans la cellule 69 plus précisément, où sont nés sous les doigts du poète de la Révolution, Moufdi Zakaria, les meilleurs chants de la résistance dont l’hymne national « Kassamane »

A l’occasion de l’anniversaire de l’exécution du martyr Zabana, le 19 juin 1956, l’APS a pris le soin de revisiter ce lieu qui relate l’histoire d’un des combattants dont le droit à la vie a été bafoué par le colonisateur français qui a fait fi des us internationaux interdisant la peine de mort, en ayant recours à la guillotine qui se détraquait plusieurs fois avant l’exécution.

Le visiteur de cette prison note immédiatement que, malgré les années qui passent, ce lieu demeure toujours aussi effrayant. Il suffit de mettre les pieds dans les couloirs ou à l’intérieur d’une cellule pour imaginer les conditions, ô combien atroces, de cette époque coloniale.

Une affirmation que partage également M. Benyoucef Tlemçani, président du comité scientifique du Centre national d’études et de recherches sur le mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 1954 (CNERMN54), pour lequel la prison de Serkadji est « le titre de la torture psychologique exercée par l’armée coloniale sur les Algériens ».

Et la déclaration est tout de suite imagée à travers des cellules dont la superficie ne dépasse pas les 3m sur 2m, humides, obscures laissant à peine filtrer un mince rayon de soleil à travers un orifice percé en haut de la paroi.


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Pour M. Tlemçani, « on ne peut dissocier » la prison de Serkadji du reste des centres de détention montés par les renseignements du groupement des commandos parachutistes (GCP) et les éléments du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), à l’instar de la Villa Poirson à El Biar, la Villa Susini à Hydra ou encore la Villa Claude à Bologhine. Ces « laboratoires » étaient à vrai dire des centres de torture physique et d’interrogatoire par lesquels devait transiter le combattant avant de parvenir à la prison de Serkadji où d’autres pratiques sont au rendez-vous.

La torture psychologique étant, poursuit l’expert, « plus meurtrière et plus cruelle », l’administration coloniale procédait dès lors à l’isolation du prisonnier dans un espace humide, obscure et froid où il ne peut ressentir que la dépression, la mélancolie mais aussi l’humiliation.

Contraire aux lois internationales interdisant de faire sortir les prisonniers dans la cour par temps de pluie, la technique de torture par l’eau était délibérément infligée aux prisonniers dans des cours à ciel ouvert des heures durant, provoquant chez ces malheureux « migraine, rhume, douleurs articulaires », a-t-il déploré.

A un moment donné, cette prison a connu un nombre élevé de détenus et une détérioration de la santé de certains. Elle était devenue « un foyer pour la propagation de maladies de la peau, l’asthme, les maladies infectieuses à transmission hydrique, auxquelles s’ajoutaient évidemment l’absence d’hygiène et la prolifération des mouches et des moustiques.

La prison de Barberousse était également réservée « à la torture des personnes âgées en recourant notamment à l’électrocution, très utilisée car disponible et facile à manier » pour faire parler les détenus, sachant que cette méthode de torture « était très connue chez les Français, d’ailleurs inventée et même expérimentée durant la guerre d’Indochine -sous le nom de la gégène-« .

 

Littérature carcérale… correspondances, mémoires et poésies révolutionnaires

 

Halte incontournable de la visite, l’aile réservée aux femmes, relate des récits véridiques de femmes braves qui ont adhéré dès les premières heures de la Guerre de libération nationale au militantisme politique et à la lutte armée, à l’image de Djamila Bouhired, Djamila Boupacha, Djamila Bouazza, Zohra Drif et de Djouher Akrour.

Malgré les changements opérés sur le lieu, comme constaté, le monument demeure une page qui rappelle d’autres épisodes des pratiques coloniales inadmissibles.

Dans cet aile, le visiteur peut se remémorer les mémoires et les lettres de la Moudjahida Baya Hocine adressés à son frère et ses compagnonnes, dans lesquelles elle relate son expérience avec l’action révolutionnaire et évoque des aspects de sa vie familiale. Des écrits dont la France a pris connaissance en 1958, après une perquisition minutieuse des repaires des militants du Front de Libération Nationale (FLN). 

Pour notre guide, ce monument est d’autant plus important pour la mémoire collective des algériens « au regard des textes qui y ont vu le jour ». En témoignent, l’hymne national « Kassaman » du poète de la Révolution Moufdi Zakaria, la lettre adressée par le chahid Ahmed Zabana à sa mère juste avant qu’il ne soit guillotiné,  » l’interrogatoire » d’Henri Alleg, et bien d’autres écrits et phrases consignés par des prisonniers dans des calepins et les murs des cellules en vue d’immortaliser ces instants.

A son tour, Jackeline Guerroudj a qualifié, dans ses écrits, les conditions dures de la prison et le harcèlement pratiqué sur les pensionnaires qui étaient entassés, en grand nombre, dans une seule cellule exiguë, notamment après la série d’arrestations qu’avait connue, en 1957, la zone autonome d’Alger, érigeant ainsi la prison en un lieu de détention regroupant des condamnés à mort et des détenus condamnés à une peine de moins d’une année, hommes et femmes, sans distinction aucune.


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Des ouvrages d’Histoire ont déjà évoqué la situation catastrophique de la prison de Barberousse à l’époque, marquée par l’augmentation du nombre des prisonnières à 193, en janvier 1957, tandis que le nombre des prisonniers avait dépassé, globalement,  le seuil de mille détenus, puis 1830 pensionnaires en juillet 1957, ensuite 2400, en décembre de la même année.

A ce propos, le professeur Tlemçani affirme que les cellules collectives qui regroupaient des moudjahidine et des détenus de droit commun  » dépassaient, à une certaine période, 140 prisonniers, créant des conditions pénibles qui ont rendu impossible, le simple fait de dormir, de bouger ou de faire ses besoins naturels.

 

Les oubliettes : plonger dans le dédale de l’isolement

 

Accompagnés du moudjahid Mohamed Bourahla, nous descendons dans « les oubliettes », au sous-sol de la prison de Serkadji, où le colonisateur « enfermait les prisonniers rebelles pour les faire taire à jamais », raconte ce rescapé du couloir de la mort.

Voyant notre malaise entre ses murs épais rongés par l’humidité où nous devions nous courber pour passer, manquant d’étouffer, le moudjahid nous dira que ce sentiment qui nous oppresse était pendant longtemps le lot quotidien des Algériens jetés dans ces cachots étroits et soumis de surcroît à des traitements cruels et inhumains aux mains des geôliers qui, a-t-il dit, « inondaient les cellules exigües d’eau froide, affamaient les prisonniers pendant de longues heures et les mettaient aux fers et les enchaînaient au mur de telle sorte que même lorsqu’ils étaient autorisés à sortir dans le couloir, il leur était impossible de faire plus de deux pas ».

« Les oubliettes » se trouvent dans la partie ancienne de la prison construite à l’époque ottomane en 1535, selon M. Tlemçani. Il s’agit d’un long couloir avec de petites ouvertures rectangulaires donnant sur des cachots étroits où la France coloniale enfermait les militants à l’isolement total.

La visite de l’APS à la prison de Serkadji a coïncidé avec la finalisation d’un rapport détaillé sur ce monument historique élaboré par le comité scientifique du Centre national d’études et de recherches sur le mouvement national et la Révolution du 1er Novembre 1954 (CNERMN54) en prévision de sa reconversion en musée national de la mémoire.En effet, un bureau d’études public a été chargé d’inspecter le bâtiment et de préparer une étude technique le concernant.

Ce comité scientifique continuera de veiller au respect, par la partie en charge du projet de reconversion de la prison en musée, des directives contenues dans le rapport et des spécificités architecturales et historiques de l’édifice afin qu’il reste un témoin incontournable des traitements inhumains auxquels ont été soumis les prisonniers algériens durant la colonisation française, a précisé M. Tlemçani en sa qualité de président du comité scientifique.

Le rapport soumis par le CNERMN54 au ministère de la Justice recouvre tous les détails historiques et techniques liés aux cellules, à leurs numéros, à l’aile des femmes, à la cour d’exécution, à la cuisine, à la clinique, ainsi qu’aux autres lieux présents dans le bâtiment initial érigé à l’époque ottomane et ceux ajoutés ultérieurement, a fait savoir le chercheur.

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