Massacres du 8 mai 1945: à Kherrata (Bejaia), le souvenir est toujours vif

Massacres du 8 mai 1945: à Kherrata (Bejaia), le souvenir est toujours vif

BEJAIA – 78 ans sont passés sur les massacres de mai 1945 commis par l’armée coloniale à Kherrata (Bejaia), mais le souvenir de cette journée effroyable et les atrocités dont elle a été le théâtre peinent à s’estomper, affirment des témoignages de survivants qui en sont marqués encore au fer rouge et que le temps n’a été d’aucun secours pour tempérer les douleurs vécues et les cruautés subies.

« J’en tremble encore, comment oublier! », tranche Said Allik, 91 ans, qui, outre sa santé vacillante, est encore terrassé par les réminiscences des détails de la barbarie qu’il a dû voir de ses propres yeux, lui qui n’avait alors que 13 ans, et qui a été confronté aux scènes ignobles de la mort de ses parents.

Son père, sa mère, son frère, et sa petite sœur âgée à peine de quatre (4) ans, ont tous été « passés par les armes à l’intérieur de la maison familiale, froidement et sans le moindre alibi », se souvient-t-il, ajoutant que la haine qui animait les troupes assaillantes était telle que « même les animaux domestiques (chien, âne et poules) ont été voués à l’exécration ».

Lui a eu la vie sauve car en voyant arriver la troupe en mission de ratissage, il s’était réfugié derrière un rocher aux alentours de la maison, située non loin d’une carrière mitoyenne. Lorsque cette opération funeste a pris fin, il a fui vers la montagne et s’y est retranché une semaine durant, échappant comme par miracle à « une géhenne » qu’il croyait être son lot.

Durant tout le mois, en effet, les ratissages, les arrestations, les tortures, les bombardements ont perduré et ont fait des centaines de victimes, a-t-il rapporté, bouleversé, ne pouvant cacher ses larmes.

Enfant, Da Saïd était dès le début de cette matinée du 9 mai 1945, dans les premiers cortèges de manifestants ayant déferlé vers Kherrata, venant de tous les hameaux environnants pour manifester contre « Ce qui s’était passé à Sétif la veille » et en profiter pour réclamer l’indépendance de l’Algérie.

Arrivés au centre-ville, ils ont été surpris par des coups de feu, dont l’un tiré depuis la fenêtre de la poste y faisant face, par un des employés qui en a tué sur le coup l’un d’eux, en l’occurrence, Chibani El Kheir.

Sa mort, naturellement, a mis le feu aux poudres et suscité la colère de la foule qui, en réaction, s’en est pris à divers bâtiments administratifs, dont celui de la poste qu’elle a  enflammé.

 

Une répression aveugle d’une rare cruauté

 

Les événements se sont précipités après, provoquant surtout une répression aveugle d’une rare cruauté. Par vengeance, des milliers de citoyens ont alors été arrêtés, brutalisés, et conduits par camions, vers les gorges de Kherrata, situées à la sortie ouest de la ville, d’où ils ont été voués à la mort, en se faisant catapultant du haut de la route, vers la rivière située en contrebas, à quelques 100 mètres de profondeur, dans des situations bestiales absolues.

Les corps, parfois d’enfants, ainsi jetés, s’écrasaient d’abord sur les parois rocheuses, du lieu, avant d’arriver déchiquetés au fond de l’oued, qui en fin de journées, a fini en couleur pourpre, confiait en 2019 à l’APS, juste à quelques mois avant de tirer sa révérence, le moudjahid Lahcène Bekhouche, témoin oculaire de ces crimes, alors qu’il n’avait que quinze ans d’âge.

Da lahcene, dont le nom est associé directement à ces horreurs, s’en est sorti miraculeusement. Il avait tout vu, lui qui a été soumis, au même moment, à l’échafaud, dressé sur le pont Hanouz, s’y trouvant pour exécuter des algériens, dans une théâtralité morbide et furieuse.

Les soldats préposés à cette sordide besogne faisaient monter sur le parapet du pont, des jeunes hommes attachés avec du fil barbelé, puis les balançaient dans le vide en se gaussant de l’écho que les corps des victimes rendaient en raflant les parois rocheuses des gorges.

Ils ont fait de leur sinistre tâche un rituel qui a duré plusieurs heures, et durant lesquelles le docteur Hanouz (d’où le nom du pont) et ses enfants ont dû le subir dans leur âme.

Sauvé in extrémis par un soldat, visiblement sensible à son âge, Da Lahcène n’en est pas mort certes, mais a été condamné à cette sentence au tribunal de Constantine, qui finalement n’a pas été exécutée. Il a par contre, passé plusieurs mois en prison.

A sa sortie de prison, Da Lahcène s’est engagé immédiatement dans la révolution, tout autant que son ami Said Allik.

L’histoire des massacres de Kherrata raconte d’effroyables journées qui ont duré jusqu’en 21 mai 1945, sans interruption, de Kherrata jusqu’à Melbou sur un rayon de 50 km et au cours desquelles, la mort a été exercée dans tout son effroi.

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