Malika Domrane, une voix du Djurdjura qui porte haut l’émancipation de la femme

Malika Domrane, une voix du Djurdjura qui porte haut l’émancipation de la femme - Algérie
Malika Domrane, une voix du Djurdjura qui porte haut l'émancipation de la femme

TIZI-OUZOU – Défiant, par sa jovialité et sa bonhomie, l’usure et les affres du temps du haut de ses 69 ans qu’elle bouclera dans cinq (5) jours, l’icône féminine de la chanson kabyle moderne, Malika Domrane, occupe encore une place de choix dans les cœurs d’hommes et de femmes que sa voix et ses mélodies ont bercés.

Née le 12 mars 1956 à Tizi Hibel, un village de la commune d’Ait Mahmoud à Béni-Douala au Sud de Tizi-Ouzou, qui a aussi vu naitre Mouloud Feraoun et Fadhma Ath Mansour, la petite fille qui n’avait vu son père, engagé dans les rangs du Front de libération nationale (FLN) et emprisonné à Fresnes (France), pour la première fois de sa vie qu’à l’âge de huit (8) ans, s’est greffée comme un tatouage sur le paysage musical algérien.

Son œuvre, alliant un fond puisé du patrimoine et des sonorités modernes, traitant de sujets divers et reflétant cet engagement et son don de soi pour les siens, a traversé le temps et laissé des traces indélébiles dans les mémoires et les cœurs de plusieurs générations et suscite encore autant d’émotions et de bonheur à l’écouter.

Captivante par sa musique, ses textes et sa voix, mais aussi par sa beauté à laquelle on faisait référence pour complimenter une femme sur sa joliesse, Malika Domrane, était la Marylin Monroe locale.

Sa rencontre, en 1967, dans leur village Tizi Hibel, avec une autre Diva, Taoues Amrouche, lors de l’enterrement de sa mère, Fadhma Ath Mansour, a tracé la voie artistique de la petite fille qui, depuis, en a fait « un modèle de femme, un modèle d’artiste et un modèle de militante », dit-elle.

En 1969, alors tout juste âgée de 13 ans, elle a bravé son père pour participer au premier Festival Panafricain des Arts à Alger durant lequel elle a remporté une médaille qui lui avait été remise par le président de la République d’alors, Houari Boumediene.

« Je ne comprenais pas pourquoi on m’interdisait ce que les garçons faisaient », s’est-elle confiée plus tard à ce sujet et à propos de bien d’autres.

 

La bénédiction de Slimane Azem et la voie vers le succès

 

Une décennie plus tard, un producteur la fait chanter en duo avec l’étoile montante de la chanson kabyle de l’époque, Sofiane, avec la bénédiction du grand Slimane Azem venu lui-même la chercher à l’aéroport. Sa chanson Boubrit (Beauprêtre, méchant maréchal de l’époque coloniale miroité pour faire peur aux enfants) fut un succès et lui a ouvert la voie du monde artistique, jusque alors, chasse gardée de la gent masculine.

Autrice de ses textes, musicienne et compositrice de la plupart de ses mélodies, elle a fait de l’émancipation de la femme un socle pour son œuvre dès son premier texte, « Tirga N’temzi » (rêves d’adolescente) qu’elle composa à l’âge de 15 ans alors qu’elle était la coqueluche de la chorale du lycée Fadhma N’Soumeur de Tizi-Ouzou.

Son premier album sorti en 1980, a reçu un accueil inespéré pour la jeune fille alors âgée de 24 ans. Depuis, elle a enchainé les succès et chacun de ses albums, Asaru (L’objet du désir), Ugadegh (J’ai peur), Ajeggig (Fleur du péché), était une nouvelle révélation.

Thématique omniprésente dans son œuvre, elle a chanté l’amour sous toutes ses formes, insolite « Lahmalaw » (Mon amour), tabou « Ed’ouyi » (Tabou brisé), interdite, maudite « Zwajiw » (Union maudite), résolue à briser tous les carcans et tabous avec des textes profonds et sincères.

Elle a aussi chanté la vie, la société et ses travers et a, surtout, été la voix de toutes ces femmes qui subissent les affres de la vie.

« Takchicht ivuren » (La vieille fille), « Tamengurt » (La stérile), « Nehtha » (La douleur du silence), « Ta’awint ugann » (Complainte), sont autant de titres qui crient la mal-vie des femmes.

Elle était celle qui parlait d’elles, leur parlait de leurs problèmes, leurs préoccupations et de leurs espérances. Et elles l’écoutaient et s’écoutaient à travers elle en savourant les moments de joie et de bonheur qu’elle leur procurait.

Infirmière à l’hôpital psychiatrique d’Oued-Aissi (dans la banlieue de Tizi-Ouzou) elle les voyait défiler avec leurs souffrances et leur folie aux causes toutes aussi diverses et dramatiques. Et comme remède, elle mélangeait à leur traitement une dose de mélodie, leur chantait, les berçait de sa voix mélodieuse pour leur offrir du réconfort et les aider à exorciser leurs peines.

Engagée, elle a joint sa voix à celles de ses frères pour porter le combat démocratique, pour la reconnaissance de la langue et de la culture amazighes et aussi l’émancipation de la femme algérienne, notamment.

Forcée à l’exil durant la décennie noire 1990, elle s’installe en France avec une partie de sa famille au lendemain de l’enlèvement de l’artiste Matoub Lounès et l’assassinat du chanteur Cheb Hasni par des groupes terroristes en septembre 1994, elle reste marquée par cet épisode de sa vie.

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