Les enfumades de la Dahra (Mostaganem): une mémoire vive qui refuse l’oubli

MOSTAGANEM – Les enfumades de la tribu des Ouled Riah dans la grotte de Frachich, sur le massif de la Dahra (à l’extrême est de Mostaganem) demeurent ancrées dans la mémoire collective 175 ans après, comme l’un des plus atroce massacre collectif de l’histoire coloniale.

La route vers les hauteurs de Nekamria ressemble à toutes les voies de cette région montagneuse, des habitations dispersées des deux flancs de cette route, menant à Ghar Frachich, des fellahs attendant le début de la saison des moissons ou des habitants de cette zone d’ombre guidant des bêtes pour arriver à un point d’eau.

Pour accéder au lieu du crime, il faut dévaler plusieurs mètres du haut de ce massif vertigineux, à la blancheur vive et dénué de toute végétation et signe de vie. Puis, on aperçoit, d’abord une stèle, imposante et noire, cassant cette blancheur et confirmant que ce lieu est la preuve de la honte sur le front des apôtres de la civilisation.

Il faut prendre des escaliers pour accéder à l’intérieur de la grotte, qui demeure fermée avec, à l’entrée, des traces encore visibles des flammes qui ont brûlé et asphyxié des vieillards, des femmes et des enfants, ainsi que du bétail.

Le retour au point de départ ne sera pas aisé. Les visiteurs reviennent alourdis par cet événement et emportent avec eux, le souvenir d’un voyage de la mémoire. Des historiens comme Olivier Lecour Grandmaison, Gilbert Meynier et d’autres personnalités ayant fait ce déplacement sur les lieux sont restés à jamais marqués par ce voyage.

Le colonel Pellissier (1794-1864), soutenu par une force militaire composée de 4.000 soldats, a, du 18 au 20 juin 1845, procédé au blocage de l’entrée de la grotte Frachich, dans laquelle s’est réfugié la tribu d’Ouled Riah (actuellement commune de Nekamria) et ont allumé des brasiers qui a brûlé plus de 20 heures durant. Ces enfumades et l’incendie ont fait entre 1.200 et 1.800 morts, des civils isolés, selon des sources historiques.

 

Des vérités à dévoiler

 

Mouloud Bali, rédacteur en chef de Radio Mostaganem, originaire de cette localité, indique que « les enfumades de la Dahra constituent un événement que la mémoire collective ne peut oublier. La région n’a jamais vu d’acte aussi barbare auparavant ».

Mouloud Bali, producteur de plusieurs programmes historiques sur ces événements, souligne que les enfumades des Ouled Riah sont le titre d’un crime abject qu’il ne faut jamais taire.

« Malgré les actions d’associations locales et autres instances pour faire connaître ce génocide, des vérités à dévoiler afin que tout le monde sache que nous avons vécu une colonisation qui n’a pas son pareil et que nous sommes un peuple qui a fait de nombreux sacrifices », a-t-il précisé.

Le même interlocuteur déplore que « les chercheurs et ceux qui s’intéressent à l’histoire locale n’aient pas réussi à transcrire les nombreux poèmes et les récits que les populations de la Dahra de l’ouest, se sont transmis sur ces enfumades », ajoutant que « cet oubli ne peut occulter le respect de tous pour cette tribu ».

Il y a peu de temps, des habitants de Mostaganem ignoraient beaucoup sur ces enfumades. Ils s’attellent aujourd’hui à les faire connaître à travers des films documentaires retraçant les détails de ce massacre collectif ignoré, dont le photographe et réalisateur de documentaires, Mustapha Abderrahmane.

Cet enfant de Mostaganem s’est penché sur l’historiographie audiovisuelle de ces enfumades, depuis 1987. Il a produit jusqu’à présent quatre films, notamment « Nakamria » (2011), « la caverne de Frachiches » (2000), « des artistes pour Nekamria » (2011) et « les enfumades de la Dahra crime de civilisation » (2017).

Le réalisateur a indiqué que « ce qui s’est passé dans les monts de la Dahra ne s’est pas limité uniquement à cette région, mais s’est déroulé dans le temps et inclus des enfumades durant la résistance populaire du 19e siècle et celles perpétrées durant la guerre de libération nationale, touchant l’Ouarsenis, la Mitidja et la région de Tebessa ».

« Cette série d’actes similaires prouve que les enfumades ne sont pas un fait isolé », a-t-il estimé, ajoutant que « l’assassinat entre 1.000 et 1.600 personnes isolées à l’intérieur de ce qui ressemble à des chambres à gaz est un événement qui faisait la fierté des chefs militaires des colonisateurs français qui appliquaient la politique de la terre brûlée de Bugeaud, à commencer par les enfumades des Zmala de l’Emir Abdelkader, dans les environs Taguine (entre Tiaret et Aflou) en 1843, puis celles de la tribu de Sebih, près de Aïn Merane (Chlef) en 1845 ainsi que les enfumades de Laghouat en 1852 ».

 

Par l’image et par l’écrit

 

Tout en saluant la décision du président de la République M.Abdelmadjid Tebboune, portant institution d’une journée nationale de la mémoire » (08 mai) et la création d’une chaine de télévision spécialisée dans l’histoire, le même interlocuteur a estimé que « tous les enfumades qui ont eu lieu durant la période coloniale doivent être documentées et portées à la connaissance du public et suivis des débats sur les crimes coloniaux ».

Dans le but de sauvegarder la mémoire nationale et de la perpétuer auprès de la nouvelle génération, le musée du moudjahid de Mostaganem a ouvert, cette année, une classe pour enseigner l’histoire. « Cette classe fait partie d’un projet de création d’une école pour les cadets de l’histoire », a précisé le directeur de l’établissement, Bilal Dakious.

« L’enseignement de l’histoire à la nouvelle génération et les leçons tirées des faits et des personnalités historiques peut participer à la sauvegarde de la mémoire des Ouled Riah et des autres algériens tombés au champs d’honneur », a-t-il assuré.

Parallèlement à la classe d’histoire des cadets de l’histoire, il y a lieu de citer l’activité du « club des amis du musée », composé d’étudiants et universitaires s’intéressant à la recherche sur la guerre de libération nationale et les résistances populaires et leurs symboles, notamment la résistance de l’Emir Abdelkader (1808-1883), la résistance de la Dahra conduite par Cheikh Boumaâza, ainsi que les crimes commis contre les tribus algériennes, dont Ouled Riah et Sebih, ajoute le directeur du musée.

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