Hirak : bilan d’une année de lutte

Hirak : bilan d’une année de lutte - Algérie

Une année après le début du soulèvement populaire (hirak), un bilan lucide s’impose afin d’envisager, dans les meilleures conditions, les perspectives ainsi que les défis qui l’attendent.

Le hirak nécessité un bilan lucide, car il faut éviter tout triomphalisme, mais également ne pas céder au pessimisme ou au défaitisme de ceux qui n’ont pas le souffle long et la patience pour vertu.

Pour faire un bilan objectif du hirak, il faut tenir compte du contexte qui a vu naître ce mouvement social profond qui n’a pas d’égal dans l’Histoire.

Ce mouvement que personne n’attendait, notamment par son ampleur, est né du rejet de l’humiliation que le pouvoir s’apprêtait à faire subir au peuple fatigué des brimades que la bande de Bouteflika n’a pas cessé de lui infliger.

Les forces politiques et sociales tétanisées par Bouteflika étaient dans une léthargie telle qu’elles ne pouvaient constituer une alternative à la dérive en cours.

Constatant cette triste réalité, le peuple a fini par se révolter en occupant la rue et exiger d’abord le départ de Bouteflika, puis la rupture radicale avec le régime.

Mettre fin au règne de Bouteflika
Le premier et non moins important acquis du Hirak est, sans doute, le départ de Bouteflika. Le refus du 5e mandat a été la première revendication du Hirak ou son acte fondateur.

Les manœuvres utilisées par le pouvoir pour calmer la rue, notamment le prolongement du 4e mandat, ont été fraîchement accueillies par la rue. Devant la détermination du peuple, à travers les manifestations massives, l’état-major de l’armée, qui constitue la seule force organisée, a pris les choses en main, non pour satisfaire les demandes de la rue, mais plutôt pour tenter de sauver le système.

C’est ainsi que Gaïd Salah, s’appuyant sur la rue, exige la démission de Bouteflika. Il profite, par la même occasion, pour écarter des proches du clan présidentiel et ordonne l’arrestation de plusieurs autres. Ceux-là même qu’il a affublés du vocable «Issaba» (bande).

Rupture avec l’état-major de l’armée
On dit que la nature a horreur du vide et dans Algérie de Bouteflika, ce vide était sidéral. L’état-major de l’armée profite de cette situation et occupe, à travers son chef, le devant de la scène politique.

Pendant des mois, ils tentent d’appliquer leur feuille de route. Ils programment une élection présidentielle pour le 4 juillet qui sera un échec patent grâce à la mobilisation massive. Le double langage du chef de l’état-major de l’armée qui, d’un côté salue le Hirak et de l’autre, fait tout pour l’étouffer, a fini par exaspérer les manifestants.

Au départ, ils ont dénoncé le chef de l’état-major en le qualifiant de traître, avant de s’en prendre aux généraux dans leur ensemble avec l’emblématique mot d’ordre « les généraux à la poubelle et les Algériens accéderont à l’indépendance ».

Les Algériens sont lucides et font la distinction entre l’armée en tant qu’institution et les généraux corrompus et corruptibles qui s’en servent pour imposer leur dictat à toute la société. Les Algériens ont su faire la distinction entre l’institution militaire pour laquelle ils ont une affection certaine et ses chefs qui ont mis le pays sous leur coupe empêchant toute perspective qui va dans le sens de leur libération.

Le chaud et le froid que Gaid Salah n’a pas cessé de souffler, des mois durant, n’a pas trompé grand monde.

L’unité face à la dictature
Depuis l’indépendance du pays, ce régime issu de l’armée des frontières a tout fait pour maintenir le peuple sous sa coupe. En plus de la persécution et de la répression souvent utilisées pour imposer son autorité, il a usé à l’excès de la vieille recette « diviser pour régner ».

En effet, à chaque fois que le peuple s’est soulevé pour exprimer son ras-le-bol, il a joué la carte du tribalisme et du régionalisme. Cette méthode vise à empêcher l’unité populaire de prendre forme. Cette potion perverse a souvent fonctionné, et c’est comme cela que la Kabylie, région frondeuse, a toujours été désignée à la vindicte populaire. C’est également le cas de la région du M’zab ces dernières années.

Le Hirak s’est distingué dès le départ par unité populaire qui s’est renforcée au fur et à mesure que le mouvement avançait. Elle s’est consolidée dans l’épreuve. L’interdiction du drapeau amazigh à l’extérieur de la Kabylie dont l’objectif était encore une fois de saper l’unité du Hirak et, in fine, l’étouffer, n’a heureusement pas fonctionné.

Aujourd’hui, la fierté de ce mouvement de fond qui est en train de transformer la société est de retrouver cette unité qui a souvent fait défaut.

Les carences du mouvement populaire
Comme cela a été souligné plu haut, le Hirak a eu des acquis non négligeables, même s’il n’a pas atteint son objectif principal qui consiste en la rupture avec le régime. Sa longévité est en elle-même un acquis extraordinaire.

Cette irruption des masses sur le devant de la scène a conduit à la crise politique que nous vivons. Le peuple rejette sa marginalisation et veut prendre son destin en main. Les Algériens discutent, débattent de leur situation, de la société dans laquelle ils veulent vivre. Ils rejettent la corruption et les injustices qui sapent les fondements du pays. Ainsi, la conscience politique va crescendo et c’est en cela que tient tout l’espoir.

A ne pas rater : Hirak : pas de révolution sans auto-organisation !
En revanche, l’absence d’organisation du mouvement est, à notre avis, son talon d’Achille. L’auto-organisation que beaucoup souhaitent vivement nous parait indispensable, même si cela est plus facile à dire qu’à faire.

Le cas de l’université est patent. Après une année de lutte, aucune structure d’auto-organisation locale encore moins régionale ou nationale n’a vu le jour. Le Hirak et ses animateurs doivent faire un bilan critique et s’atteler à trouver une issue à cet aspect fondamental du mouvement.

La tâche est colossale et les craintes d’une manipulation d’éventuels délégués du mouvement par le pouvoir sont légitimes. Cela ne doit pas nous dissuader de réfléchir à des formes adéquates d’organisation qui vont parer à toutes ces éventualités.

Une chose est sûre, nous ne pouvons faire l’économie de l’organisation du Hirak. L’histoire nous apprend que les révolutions victorieuses se sont dotées de structures ou de partis révolutionnaires qui les ont conduits vers le triomphe.

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