PARIS – Le journal français l’Humanité a publié une enquête sur le « Marocgate », retentissant scandale de corruption au sein du Parlement européen (PE), dans laquelle il revient sur « la politique d’influence que déploie Rabat au cœur des institutions européennes » avec un mode opératoire consistant à soudoyer des eurodéputés en contrepartie de leur « alignement » sur les intérêts du régime du Makhzen.
L’enquête parue sous le titre « De Bruxelles à Paris, les amis du roi du Maroc », dans l’édition du vendredi 6, samedi 7 et dimanche 8 janvier, revient sur l’envers du décor de ce qui est déjà considéré comme l’un des plus grands scandales de corruption ayant secoué les institutions européennes.
Le journal, qui en est au deuxième volet de son enquête sur le « Marocgate », s’est penché sur le cas de personnalités françaises qualifiées comme étant « des cibles privilégiées du lobbying de l’Etat du Maroc ».
Comme dévoilé par plusieurs médias et des eurodéputés, l’auteur de l’article, Rosa Moussaoui souligne, en outre, que l’ex-eurodéputé italien Pier Antonio Panzeri aurait été « relié de longue date » aux services secrets marocains par l’entremise d’Abderrahim Atmoun, actuel ambassadeur du Maroc en Pologne, présenté dans les auditions des enquêteurs belges comme un « pourvoyeur de cadeaux aux allures de contreparties de l’alignement de certains élus sur les positions défendues par le Maroc, en particulier sur le dossier du Sahara occidental ».
A cet égard, elle s’est interrogée sur l’implication probable d’élus français à Bruxelles qui se seraient à leur tour vu offrir des cadeaux. Le journal précise que pour l’avoir laissé entendre, l’ancien eurodéputé écologiste français José Bové est aujourd’hui visé par une plainte en diffamation déposée en France par l’ancien ministre marocain de l’Agriculture, devenu chef du gouvernement, Aziz Akhannouch.
L’ex-eurodéputé, contacté par le journal français, raconte avoir décliné en 2015 des « propositions » -marocaines- pour « arranger les choses » alors qu’il s’opposait, comme rapporteur de la Commission du commerce extérieur, à l’accord UE-Maroc sur les mesures de libéralisation réciproque en matière de produits agricoles et de produits de la pêche.
Dans ce cadre, une note de la mission du Maroc auprès de l’Union européenne (UE) estampillée « confidentiel » et divulguée en 2014 avec des milliers d’autres documents par un hacker anonyme se faisant appeler Chris Coleman – des câbles dont Rabat n’a jamais contesté l’authenticité -, alertait sur le dépôt possible « d’amendements malveillants » par des « adversaires » avant l’adoption par le PE de rapports consacrés à l’éradication de la torture dans le monde et aux relations commerciales de l’UE avec les pays de la Méditerranée.
Elle préconise ensuite « un suivi permanent des questions inhérentes à, notamment, l’accord agricole Maroc-UE ».
Un « club très actif » d’eurodéputés en faveur du Maroc
José Bové évoque également l’existence au PE d’un « club très actif » d’élus toujours prêts à défendre avec ferveur les intérêts de Rabat.
« La politique d’influence déployée par le royaume dans les enceintes européennes et l’empressement de certains relais français n’ont rien d’un mystère », souligne l’Humanité.
L’auteur de l’article a, entre autres, épinglé l’ex-eurodéputé socialiste français, Gilles Pargneaux, qui fut président du groupe d’amitié UE-Maroc, « visiteur assidu du royaume couvert de décorations par le Palais » et qui s’est reconverti dans le lobbying.
Le journal français note que l’ancienne eurodéputée socialiste portugaise Ana Gomes n’hésite pas à dépeindre Pargneaux, sur son compte Twitter, comme « le lobbyiste du Maroc le plus effronté » qu’elle ait rencontré au Parlement européen, relevant qu’il se présentait aussi comme « conseiller » du roi.
« Et de fait, ses fréquentes interventions dans la presse du Makhzen (l’appareil monarchique), ses prises de position à Bruxelles, son acrimonie affichée à l’endroit des opposants marocains en font un soutien sans faille du régime monarchique », analyse l’Humanité.
Et d’ajouter : « Inflexible détracteur du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, pourtant inscrit dans le droit international, l’eurodéputé fut l’un des plus ardents défenseurs de l’accord agricole et de l’accord de pêche annulés par la justice européenne ».
Le journal français relate aussi l’expulsion en 2018 d’une espionne présumée marocaine de Belgique, une certaine Kaoutar Fal, qui avait des liens avec Gilles Pargneaux.
« La Sûreté de l’Etat (…) considère que l’intéressée constitue une menace pour la sécurité nationale, car elle a constaté que Madame Fal et ses organisations sont activement impliquées dans des activités de renseignement au profit du Maroc. Par ailleurs, Madame Fal est également en contact avec des personnes qui sont connues de la Sûreté de l’Etat pour leurs activités en faveur de services de renseignements étrangers offensifs ou pour des liens avec ceux-ci. La Sûreté de l’Etat estime également qu’il faut empêcher l’intéressée d’accéder au territoire et de circuler dans l’espace Schengen afin de mettre fin à ses activités et au danger qu’elle représente », selon le rapport de la police belge relatif à son arrestation.
« On le voit avec ce scandale qui secoue aujourd’hui le Parlement européen : c’est une diplomatie menée par le contre-espionnage et la DGST (Direction générale de la surveillance du territoire). Ca confirme que l’Etat profond, le Makhzen, est réduit à sa plus simple expression : sa dimension policière », analyse le journaliste d’investigation marocain Aboubakr Jamaï, contraint à l’exil.
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