Chroniques de martyrs brûlés vifs le 8 mai 1945 à Guelma

GUELMA – Tenaillée par l’émotion, Malika Zaâïmia, âgée de plus de 91 ans, se remémore le martyre de son père, Mohamed-Salah, durant les massacres du 8 mai 1945, à Guelma.

La vieille femme rappelle, au cours d’un témoignage recueilli par l’APS, « la machine d’extermination coloniale française qui ne faisait aucune distinction entre jeunes et vieillards, hommes ou femmes ». Ses souvenirs sont intacts malgré l’âge, d’autant que sa famille résidait au cœur des événements, dans le quartier « Beaumarchais », au centre de la ville de Guelma.

Le mardi 8 mai 1945, lorsque les événements ont éclaté dans l’antique Calama, son père, Mohamed-Salah, alors cinquantenaire, travaillait en dehors de la ville, sur des terres agricoles qu’il possédait dans la commune de Bouhachana. Lorsqu’il apprit la nouvelle du déclenchement des heurts, il refusa d’écouter des proches qui lui conseillaient de rester à l’écart. Sa fille assure qu’il leur a répondu, sans ambages : « je ne laisserai pas mes enfants mourir seuls ».

Mme ZaâImia ajoute que les milices françaises « le suivaient alors même qu’il était loin et attendaient l’occasion de l’éliminer ».

Selon elle, son père a traversé la route de Bouhachana vers Hammam N’Bail pour ensuite transiter par la gare de Nador (aujourd’hui Beni Mezline).

Dès son arrivée à la gare de Guelma, il a été encerclé par des milices accompagnées de gendarmes français. Sa tentative de fuite fut vaine puisqu’après avoir parcouru 200 mètres, rue Ali-Charfi, sur la route d’Annaba, il fut rattrapé par les hommes armés qui l’aspergèrent d’essence avant de mettre le feu à son corps. Sa fille raconte, entre deux sanglots, que Mohamed-Salah, brulé vif, est « resté sur place jusqu’à ce que son corps soit complètement calciné ».

Yacine Chaâbane, directeur du Musée de wilaya du Moudjahid, a indiqué, de son côté à l’APS, que la structure qu’il dirige a pu enregistrer « plusieurs témoignages racontant des scènes atroces d’exécutions et d’immolations par le feu ».

Ce responsable, cite, à ce propos, le témoignage du moudjahid et prisonnier pendant la Révolution, Abdellatif Abbad, né en 1934, qui souligne dans un enregistrement que les habitants de la ville de Guelma « sont restés plusieurs jours à sentir l’odeur des cadavres brûlés qui leur parvenait des fours à chaux d’Héliopolis ».

Ces fours de sinistre mémoire, propriété du colon Marcel Lavie, ont été transformés en véritables « crématoriums » dans lesquels les corps de dizaines d’algériens innocents et sans armes, ont été brûlés vifs.

 

Plaidoyer pour la préservation des sites de massacres

 

Les documents en possession de la Fondation du 8 mai 45, créée en 1995 pour lutter contre la culture de l’oubli, soulignent, dans un bilan approximatif, que la wilaya de Guelma a fourni, plus de 18.000 martyrs durant ces massacres de masse. Il y est également indiqué que les tueries et les liquidations sommaires se sont poursuivies pendant plus de deux mois.

Tout a débuté le mardi 8 mai, au cours d’une marche qui se voulait pacifique, violemment réprimée par le sous-préfet Achiary dont le tout premier « fait d’armes » fut le lâche assassinat du jeune Boumaza Abdallah, dit Hamed.

Selon des membres de la Fondation du 8-Mai 1945, des appels sont renouvelés chaque année pour la préservation des onze (11) sites qui témoignent, dans plusieurs communes de la wilaya, de ces massacres. Surtout, a-t-on précisé, que la plupart des témoins oculaires ont aujourd’hui disparu, à l’image d’un des plus engagés d’entre eux, le moudjahid Abdallah Yelles, président d’honneur de la Fondation, décédé en 2020 à l’âge de 96 ans.

En 2018, la wilaya de Guelma a également fait ses adieux au moudjahid et secrétaire général de la Fondation, Abdelaziz Bara, parti à l’âge de 85 ans. Auparavant, en juillet 2013, les Guelmis avaient également pleuré le défunt moudjahid Saci Benhamla, un des plus jeunes militants du mouvement national à avoir participé à la marche pacifique du 8 mai 1945. Membre fondateur de la Fondation, il avait consacré une partie de sa vie à lutter pour que la France avoue enfin les crimes commis en Algérie.  

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